Interview par le journal L’Alsace – Danielle Thiéry
« Le Festival sans nom, aujourd’hui, c’est “the place to be” »
Avant d’écrire des polars, elle a été l’une des premières femmes, dans l’histoire de la police française, à accéder au grade de commissaire divisionnaire. Entretien avec la native de Côte-d’Or, Danielle Thiéry, marraine de l’édition 2021 du Festival sans nom, à nouveau conviée à Mulhouse pour les 10 ans du salon.
Vous êtes la dernière marraine en date du Festival sans nom. C’est un rôle que l’on vous propose souvent ?
Je suis beaucoup sollicitée pour ça, et de plus en plus souvent. Il y a ces salons qui ont pignon sur rue ; alors, quand on me demande de l’être, j’en suis fière et honorée ; et puis ces salons qui démarrent et qui demandent un parrainage à quelqu’un de connu, qui va servir de tête d’affiche. On peut alors dire non en expliquant que l’on n’a pas le temps ou donner un petit coup de pouce aux organisateurs. C’est généralement ce que je fais, car il faut être courageux pour se lancer dans un événement pareil.
Quel est le rôle d’une marraine d’un salon du polar ?
Il n’y en a pas vraiment. On est mis en lumière, on dit quelques mots ; s’il y a un prix, c’est à nous de le remettre et on va se fendre d’un petit discours. Mais on ne nous demande pas grand-chose de particulier, ça ne nécessite pas une longue préparation. Je remarque que les gens ont souvent besoin de savoir à quelle sauce ils vont être mangés. Ce n’est pas mon cas et puis il ne s’agit pas de situations où on va nous piéger. On nous met en avant et c’est plutôt bienveillant. Je suis en ce moment marraine d’un projet de recueil de nouvelles avec des policiers ou d’anciens policiers, dont les bénéfices iront aux orphelins de la police.
En tant que l’une des premières femmes commissaires divisionnaires de l’histoire de la police française, vous avez en quelque sorte fait « bouger les lignes » …
Oui, par la force des choses. Je ne supportais pas de m’entendre dire, notamment par mon père, que ce n’est pas un métier pour les filles : mon père, qui était quelqu’un de la campagne, qui savait bien ce que les femmes ont pu faire pendant les périodes de guerre. Il ne parlait pas de manière négative, il considérait simplement que les femmes devaient rester à l’abri chez elles, s’occupant des enfants, et que c’était très bien comme ça. Sans autre explication rationnelle. Alors, quand l’institution a entrouvert ses portes, quand il y a eu des besoins importants dans les brigades de protection de l’enfance, après les deux guerres successives, avec des enfants livrés à eux-mêmes, j’y suis entrée et je me suis fait une place, sans attendre que les choses tombent comme ça, toutes cuites.
C’était en 1970. Je n’avais que 22 ans et je voulais tout explorer. J’avais en tête de travailler dans tous les services, sans barrière, ostracisme, plafond de verre. On ne m’a jamais vraiment fermé de portes, que ce soit lors de ma carrière à Lyon ou à Paris. Je n’étais simplement pas attirée par les CRS ou les unités d’intervention. Des services où on va plus faire jouer ses capacités, sa force physique. Ça ne m’intéressait pas, mais j’ai milité pour que les femmes les intègrent. Pourtant, aujourd’hui, il y a des femmes officiers, mais pas de femmes à la tête des compagnies de CRS. Il n’y a peut-être pas l’envie, l’activité rebute ou alors c’est lié à l’organisation de la famille, car quand on est en déplacement les trois quarts de l’année, quoi qu’on en dise, ce n’est pas facile à gérer.
Vous étiez déjà venue à Mulhouse en 2017, 2018 et 2019. Qu’est-ce qui vous a fait revenir ?
L’ambiance générale, les personnes qui contribuent à l’existence de ce festival. Des gens formidables et chaleureux, comme on sait l’être dans l’Est de la France, qui y croient dur. C’est vraiment un bel événement, il y a du public et puis les auteurs sont bien accueillis. Le Festival sans nom a tout ce qu’il faut pour que ce soit aujourd’hui l’un des meilleurs salons spécialisés en France. C’est important de le dire. Je suis très régulièrement sollicitée par des auteurs qui me parlent de Mulhouse, en me demandant comment faire pour y être invité. Alors quelquefois, je soumets à Hervé Weill [l’un des membres fondateurs] des noms… Le Festival sans nom, aujourd’hui, c’est « the place to be » et un endroit où on a envie de revenir.
Vous faites partie des invités pour les 10 ans du festival, fin octobre. Qu’en attendez-vous ?
Je pense que ça va être un moment important, avec tous les parrains et les marraines. J’en suis ravie, car les huit parrains précédents sont tous emblématiques et aucun n’a disparu de la scène polar depuis. Ça sera, sans doute, une belle fête, avec des surprises, en espérant que ce festival reste dans l’esprit de ce que l’on a connu jusqu’à présent.
Avec quels ouvrages viendrez-vous ?
La Souricière, publié en grand format chez Flammarion en juin, où l’on retrouve la commissaire Marion, mon personnage principal emblématique. Et puis il y aura une nouveauté pour la jeunesse et les jeunes adultes, avec la sortie officielle, mi-octobre, d’Obsessions, aux éditions Syros. Il s’agit du troisième volet, venant boucler une trilogie composée par ailleurs de Cannibale et de L’ange obscur.
Propos recueillis par Pierre GUSZ
Photo Darek Szuster